Ehpad Bénichou de Nancy : de belles initiatives intergénérationnelles et axées sur la protection de l'environnement.

Interview d'Emmanuelle Dietsch; Directrice et de Karine Bastien animatrice de la maison de retraite.

Publié le 12 février 2018

EHPAD Simon Bénichou de Nancy

Maison de retraite médicalisée associative à but non lucrative, pour l'hébergement de personnes âgées dépendantes, l'EHPAD Simon Bénichou est un petit établissement, situé au cœur de Nancy. Maison israélite, restant attachée au culte juif, l'EHPAD accueille ses résidents, sans distinction de religion. Offrant au total 67 lits et un service d'accueil de jour de 6 places ouvert 4 jours par semaine, l'EHPAD Simon Benichou a développé ces dernières années différentes initiatives intergénérationnelles et axées sur la protection de l'environnement. Décryptage aux côtés de la directrice de l'EHPAD, Emmanuelle Dietsch et de Karine Bastien animatrice de la maison de retraite.

Capgeris

Vous êtes un établissement à but non lucratif, en quoi cela constitue-t-il une différence, vis à vis des autres EHPAD ?

.C'est important parce qu'il existe 3 types d'EHPAD. D'abord les EHPAD gérés par un service public (soit l'hôpital, soit le Département, soit une commune) ensuite les EHPAD privés, dont il existe deux catégories. D'un côté, les EHPAD privés associatifs dans le cadre de la loi 1901 qui sont à but non lucratifs, c'est à dire qu'il n'y a pas de redistribution à des actionnaires. Et de l'autre côté, les établissements privés lucratifs, qui sont des établissements commerciaux, gérés par de grands groupes, et dont l'objet est de redistribuer des bénéfices aux actionnaires. L'EHPAD Simon Benichou est précisément un établissement privé associatif. Tout ce que nous pouvons dégager est réinvesti dans l'établissement dans le cadre de projets visant à améliorer les lieux de vie ou la qualité de vie des résidents.

Capgeris

Vous accueillez des pensionnaires entre la soixantaine et 100 ans ou plus. Comment vous adaptez-vous aux attentes très différentes de ces générations ?

Emmanuelle Dietsch

C'est tout l'enjeu, justement ! Tout l'enjeu d'une équipe spécialement formée à l'accompagnement quelle que soit la génération des résidents, leurs besoins et leurs attentes. Effectivement, nous allons demander aux équipes qui sont plus proches des résidents, aussi bien dans le cadre de l'animation, du soin, que dans l'aide au service hôtelier, de faire le « grand écart » entre une personne mobile mais touchée par des troubles cognitifs importants à 65 ans, et une dame très âgée de 102 ans, qui fatigue vite, mais qui a encore toute sa tête. Cette dernière va être en demande d'accompagnement sur les actes de la vie quotidienne et aura, aussi, des activités sociales un peu différentes. Cela demande le savoir-faire et le savoir-être d'une équipe, au service des personnes âgée quel que soit leur âge et quelle que soit leur pathologie. Nous accueillons toute personne, quel que soit son niveau de dépendance.

Capgeris

Vous accueillez à la fois des personnes peu et très dépendantes

Emmanuelle Dietsch

Oui. Toutefois, il y a peu de personnes peu dépendantes en EHPAD. Le revers de la politique en matière de maintien à domicile, est justement que les personnes entrent de plus en plus tard en maison de retraite, avec des pathologies et des niveaux de dépendance de plus en plus élevés.

Capgeris

Les personnes peu dépendantes se dirigent peut-être davantage vers l'accueil de jour ?

Emmanuelle Dietsch

Nous proposons effectivement un accueil de jour de 6 places pour des personnes en provenance du domicile, qui débutent des troubles cognitifs, qui sont un peu isolées chez elles, et pour lesquelles les aidants ont besoin de souffler un peu. Nous offrons une activité sociale, de prévention et pour préparer à un éventuel accueil plus tard en maison de retraite ou, dans tous les cas, prolonger et maintenir le plus longtemps possible la personne dans de bonnes conditions chez elle.

Capgeris

Dans votre maison de retraite, vous dites que vos pensionnaires vivent « tout sauf en retrait », expliquez-nous pourquoi ?

Emmanuelle Dietsch

Effectivement, dans notre EHPAD, nous recherchons l'ouverture, parce que c'est la vie. Ce n'est pas parce qu'on avance en âge que l'on doit se retrouver enfermé. Et tout l'enjeu de notre institution est qu'elle soit bien ancrée dans un quartier, dans une ville, et qu'elle favorise les liens sociaux pour nos résidents qui se sentent encore parfaitement citoyens, dans leur ville. Il y a toujours cette image négative autour des maisons de retraite. Nous, ce qui nous intéresse, c'est que les personnes âgées ont encore envie de vivre. Suivant cette logique, les services de l'EHPAD vont donc s'adapter aux besoins de la personne âgée pour favoriser ce qu'elle peut encore exprimer, créer, partager, vivre, et ce, en lien avec toutes les générations. C'est pour cette raison que nous avons beaucoup développé la partie lien social et environnement pour permettre aux résidents de se faire plaisir.

Karine Bastien (animatrice de l'EHPAD Benichou).

Je me suis tout de suite rendue compte que les enfants insufflaient de la vie, du positif, aux résidents et que ces deux générations fonctionnent un peu de la même façon. A départ, avec une école de quartier, nous avons travaillé sur le thème des saisons et sur le thème pédagogique qu'ils élaboraient au sein de l'école tous les trimestres. Nous avons fait des sorties communes, nous sommes allés ensemble aux kermesses. A l'époque, il y avait encore le jardin d'enfants israélites au centre de Nancy, avec qui nous avons beaucoup travaillé. Par exemple, à l'occasion des fêtes juives, des résidents sont allés à la rencontre de la communauté juive, même s'ils n'étaient pas de la même confession. Là encore nous privilégions l'ouverture aux autres. Dans le quartier, nous avons également développé un partenariat avec l'école Charlemagne. Nous sommes aussi ouverts sur les voisins, les gens du quartier puisque ces personnes viennent au sein de l'EHPAD. Des producteurs locaux viennent proposer leurs produits tous les 15 jours « Le P'tit Marché du Simon » tout un chacun peut y venir. Une AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) vient également une fois par mois. Les paysans livrent leurs légumes. Les adhérents de l'association viennent chercher leur panier dans l'EHPAD. Ainsi, des gens du quartier peuvent s'impliquer, par petites actions, dans la maison.

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Votre EHPAD a pris un virage écologique en 2014. Racontez-nous pourquoi et comment ?

Karine Bastien

Nous avons fait un grand pas ! Avant, rien n'était fait. Dans nos poubelles il y avait encore, des bouteilles de vin en verre. Les sacs étaient posés à même le sol car les bacs étaient vite remplis ! Ce qui posait problème à plusieurs niveaux, et notamment en terme de coût. Dès lors, nous sommes entrés dans une démarche de valorisation des déchets. Avec d'abord le tri du verre, puis du plastique et du carton, puis des mégots de cigarettes. Ensuite, nous avons accueilli des poules dans l'établissement, pour s'occuper des déchets type épluchures et restes de plats. Nous avons fait construire un poulailler par des jeunes en réinsertion, par le biais de deux associations. Ce projet a été travaillé sur un an, aux côtés d'étudiants, car les poules, ce n'est pas notre cœur de métier ! Par exemple, nous ne savions pas quels aliments leur apporter, ou encore, comment en prendre soin... D'autres EHPAD n'ont pas une démarche aussi poussée. Nous ne voulions surtout pas nous contenter de faire venir les poules sans aucun accompagnement. Dans le cadre de notre projet, les gens sont impliqués, les résidents comme le personnel. Nous avons tous travaillé ensemble pour être sûrs que le projet soit pérenne. Aujourd'hui, nos poules vont bien. Elles sont là depuis 4 ans. Nous sommes allés chercher des poules dans les Vosges, à plusieurs reprises, déjà. La troisième fois, nous sommes allés chez une jeune avicultrice près de Toul, avec des résidents et des petits de la crèche Bulle d'Eveil. C'est pour cette raison qu'une des poules s'appelle Bullette. La dernière fois, nous sommes allés chez d'autres éleveurs, près de Lunéville avec une classe de l'Ecole Marcel Leroy avec laquelle nous sommes en partenariat. Nous y avons passé la journée et avons encore ramené 2 autres poules. Elles sont aujourd'hui 6 au total !

Capgeris

Maintenant ces poules « font partie des murs », elles sont totalement intégrées !

Karine Bastien

Oui, et pour ce faire, nous avons vraiment associé tout le monde au projet. Notre objectif : que cela rentre dans le fonctionnement de l'établissement. D'abord, l'aide-soignante ouvre le poulailler. Ensuite, les cuisiniers viennent déposer à manger. Le soir, un agent de service vérifie que les poules sont toutes là (elles gambadent souvent librement devant l'EHPAD). Quand il fait beau, les résidents viennent avec moi donner à manger ou nettoyer le poulailler ou encore, ramasser les œufs. Les enfants de la crèche venant une fois par semaine, nous les attendons pour ramasser les œufs avec eux. Nous avons aussi organisé un atelier d'épluchage de légumes, pour que les résidents participent à nourrir les poules. Ce qui permet de travailler également leur dextérité. Cet épluchage sert ensuite aux cuisiniers pour préparer la soupe plus rapidement. Autre initiative, la tombola des œufs. En général, c'est le résident qui pioche au hasard le nom d'un salarié qui gagne alors 6 œufs. Quant aux voisins, et aux gens du quartier, ils ont su que nous avions des poules (le poulailler a été inauguré en mai 2015 lors de la fameuse manifestation nationale : « La Fête des Voisins ») et ils viennent régulièrement demander s'ils peuvent venir chercher des œufs. En échange, ils donnent ce qu'ils veulent.

Capgeris

Toutes ces initiatives font qu'au final, l'établissement est totalement intégré dans le quartier, et que c'est un lieu totalement vivant ?

Karine Bastien

Un jour nous avons retrouvé devant notre portail un carton, avec un bébé coq à l'intérieur ! Après l'installation du poulailler, nous avons ouvert un site de compostage partagé. Parce que si les poules consomment des déchets, elles en produisent aussi. Donc nous disposons d'un composteur, rien que pour elles. Certains personnels, des voisins ou des gens du quartiers, ont été nommés référents et ont suivi une formation avec un Maître Composteur du Grand Nancy. Le site de compostage partagé a été inauguré avec les résidents, les familles, les gens du voisinage et quelques officiels, dans une ambiance sympathique, sous le soleil couchant et jusqu'à la nuit tombée. La maison est donc totalement ouverte sur le quartier. Parmi nos dernières initiatives, des ruches, qui sont installées en bas du parc. Ici, avec l'apiculteur, se sont déroulés des ateliers avec les enfants. Nous avons acheté des tenues pour aller dans les ruches. Nous récoltons le miel et faisons régulièrement des dégustations. En 2016, nous avons travaillé avec une association l'Alu du Cœur 54 qui récupère aluminium et métaux pour pouvoir financer des chiens d'aveugles. Nous avons même récupéré dans une autre Communauté de Communes une grosse benne pour les boîtes de conserve de la cuisine. Un gros bac de collecte (en carton) est accessible à tout le monde, à l'entrée de l'EHPAD. Avec les enfants, nous faisons aussi des ateliers de tri, notamment aux côtés de la présidente de l'association Alu du Cœur 54. En 2017 nous avons même organisé un concours inter-EHPAD de collecte de piles.

Capgeris

Vous recyclez presque tout ?

Karine Bastien

Dans un premier temps, nous avons commencé par trier le carton et le plastique. Puis le papier aux côtés de l'association Jeune et cité (ils viennent ramasser le papier en vélo, avec des remorques). Puis nous avons gardé les bouchons pour une autre association. En l'espace de quelques années nous sommes passés de très peu de recyclage à une quinzaine de filières !

Emmanuelle Dietsch

Nous sommes même devenus « brigade du tri » pour la filière de recyclage des stylos. Karine a réussi, en effet, à fédérer tous les services de l'EHPAD ainsi que des écoles, des MJC, des associations et même le Conseil Départemental 54. Désormais, ils nous rapportent leurs stylos, bâtons de colle, correcteurs, feutres, ... usagés. Ils sont récupérés pour fabriquer du mobilier urbain en plastique. Nous avons également installé une benne pour les textiles. Parallèlement, nous avons travaillé à la suppression de la consommation de bouteilles plastiques d'eau aux repas. Maintenant, nous avons une fontaine à eau plate et gazeuse, de nombreux résidents souffrant de troubles de déglutition. Eau plate et eau gazeuse sont servis en cruche. Cela a été très bien accepté des résidents car c'est arrivé progressivement et tout le monde était impliqué. De plus, un comité de pilotage indiquait les différentes actions. C'est une démarche progressive, pensée pour être pérenne. A ce titre, nous avons d'ailleurs reçu un prix du journal médico-social Direction, pour ce projet écoresponsable. Nous avons également rédigé une Charte Eco-responsable.

Capgeris

D'autres EHPAD vont donc sans doute prendre exemple sur vous ?

Emmanuelle Dietsch

Effectivement, une petite structure comme la nôtre peut donner l'envie à d'autres structures de s'ouvrir aux enjeux écoresponsables. Inévitablement, ce type d'actions fédère différents acteurs et ouvre plus grand les portes de leur établissement.